Gaz de schiste : de nouvelles opportunités dans les entrailles de la terre

Dans l’énergie, l’exploitation du gaz de schiste fait débat. Isabelle Moretti, géologue responsable du gaz non conventionnel chez ENGIE Exploration & Production, nous explique le procédé, les conséquences, les avantages et les risques.
Damien G.
16/06/2016 |

Comment extrait-on le gaz de schiste ?

« Ce gaz peut être remonté selon un procédé différent des forages classiques, bien que la technique soit devenue la routine dans certaines zones. Pour l’extraire, les forages démarrent verticalement, comme tout forage, puis la trajectoire est déviée pour ensuite, une fois la couche d’argile schisteuse atteinte, poursuivre une course horizontale pendant quelque 1 000 ou 1 500 mètres. La profondeur d’exploitation se situe entre 1 500 et 4 000 mètres. Il est techniquement possible de forer plus profond, mais cela entraînerait des coûts trop élevés. »

Le forage pétrolier est une opération extrêmement spécifique…

« À vrai dire, c’est une prouesse technologique : aujourd’hui, les foreurs peuvent déterminer avec une grande précision – presqu’au mètre près – la position et la pente de la tête de forage. Lorsque le tube a atteint l’emplacement voulu, la roche qui contient le gaz est stimulée par un procédé appelé ‘fracturation hydraulique’. Celui-ci consiste à injecter un liquide aqueux dans la roche pour la fissurer localement. L’injection se fait à une pression supérieure à celle que subit naturellement la roche à cette profondeur. Ensuite, une solution, composée principalement d’eau et de petits grains de sable de la taille d’un ou deux cheveux, est injectée et permet de garder ouverte cette roche fracturée. Après, on pompe : l’eau et le gaz présent, libéré par dépressurisation, remontent à la surface. Le gaz extrait est du méthane, identique au gaz classique des réservoirs conventionnels. La grande différence réside en la nature de la roche : les schistes étant moins poreux qu’un réservoir classique, il faut multiplier le nombre de puits et stimuler la roche, aujourd’hui par fracturation hydraulique, demain sans doute par d’autres techniques. La recherche est très active sur ces sujets. »

Ce n’est pas à proprement parler une nouveauté…

« C’est vrai. Dans le champ dit de Marcellus, sur la côte Est des États-Unis, on l’exploitait déjà en 1871 ! Mais il a fallu attendre les dernières décennies pour voir les États-Unis se muer en grand producteur mondial de gaz de schiste : un tiers de la production de gaz de ce pays provient désormais de forages pratiqués dans la roche argiloschisteuse. »

Avec quelles conséquences ?

« Les conséquences sont importantes. Le gaz de schiste a permis à l’Amérique de réduire sa dépendance par rapport à d’autres ressources venant de l’étranger. Une source d’énergie supplémentaire diversifie le mix énergétique global. Or, pour un pays, importer moins d’énergie, c’est améliorer sa balance commerciale. Cette évolution a également été au profit de l’industrie et de tous les consommateurs aux Etats-Unis : les prix de l’énergie ont diminué significativement suite à l’exploitation du gaz de schiste qui est produit sur place en grande quantité. Le prix du gaz est
là-bas moins de la moitié du prix en Europe et l’activité autour de l’extraction des gaz de schiste a permis de créer entre 1 et 2 millions d’emplois directs et indirects dans le pays. »

L’exploitation commerciale du gaz de schiste présente donc de nombreux avantages. Comment dès lors expliquer qu’en Europe, on en soit toujours aux balbutiements ?

« En Europe, on ne voit pas clair : où se trouve exactement le gaz de schiste et en quelles quantités ? Établir une cartographie des gisements de gaz de schiste nécessite un grand nombre de forages d’exploration, et c’est là que le bât blesse. Ainsi, le gouvernement français se montre très hésitant et a interdit la fracturation aux compagnies pétrolières. En revanche, la Pologne a démarré l’exploration il y a 4 ans, suivie maintenant par d’autres pays, en particulier le Royaume-Uni et l’Espagne. Ces deux pays stimulent les investissements en gaz de schiste par des mesures fiscales favorables. Lorsque tous les autres pays européens auront pris position et que l’exploitation aura commencé dans les pays ayant donné leur feu vert à cette technique, il se pourrait bien que les rapports entre pays non producteurs et producteurs de cette énergie s’en trouvent profondément changés. »

Certains accusent toutefois le gaz de schiste de nombreux maux : surconsommation d’eau, pollution du sous-sol, tremblements de terre… Qu’en est-il exactement ?

« Pendant la phase initiale d’une mise en exploitation, on injecte jusqu’à 25 000 m3 d’eau dans le puits. Cela semble énorme, mais c’est environ la quantité d’eau que consomme une ville comme Paris en 52 minutes ou un terrain de golf de taille moyenne en 25 jours. De plus, l’eau consommée est partiellement récupérée. Quant à la pollution du sous-sol par des substances chimiques, il faut savoir que les substances chimiques mélangées à l’eau servent à empêcher la corrosion dans les puits et la prolifération des bactéries. Tous ces additifs chimiques sont homologués et la liste peut être consultée par le public. Une fois que le gaz de schiste a été rendu accessible par la fracturation – une opération qui prend de quelques jours à une semaine – l’exploitation se déroule sans utiliser d’eau. Enfin, il est vrai que la fracturation provoque des micro-fissures dans les couches géologiques inférieures – tout comme c’est le cas lors de l’extraction de la houille. L’intensité, généralement inférieure à 1,5 sur l’échelle de Richter, n’est que très rarement ressentie en surface. Longues de quelques dizaines de mètres, les fissures n’ont toutefois une épaisseur que de quelques microns et sont créées à plusieurs kilomètres sous le sol. Elles ne se prolongent jamais jusqu’à la surface de la terre et se referment spontanément, car les argiles gonflent avec le temps. »

Qu’en est-il des émissions de CO2 ?

« Les émissions de CO2 liées à la combustion du gaz qu’il soit de schiste ou non, par unité énergétique, sont moindres que pour le charbon ou le pétrole. De plus, une production locale minimise les coûts environnementaux du transport. »

Y a-t-il du gaz de schiste en Belgique ?

« Tout comme dans les pays voisins, la Belgique dispose peut-être, enfouies sous ses pieds, de réserves de gaz naturel encapsulées dans des couches d’argile schisteuse. Il faudra forer pour en avoir le cœur net. »